L’Université Libre de Bruxelles possède un fonds d’archives exceptionnellement riche – versé par Fela Perelman au décès de son époux –, classé sous la cote : BE ULB 89 PP. Il nous a paru crucial que ces archives, presque vingt-neuf ans après la mort de Chaïm Perelman, prennent place à l’intérieur d’un programme scientifique et technique d’envergure. Très concrètement, le « Fonds Perelman » est constitué d’un ensemble documentaire capable de mettre en lumière la genèse et les évolutions de l’œuvre de notre auteur.
Le fonds conservé à l’ULB, composé de quarante-deux cartons, représente près de 30 à 40.000 feuillets. Il renferme essentiellement la correspondance de Perelman avec des acteurs du monde universitaire et, plus largement, intellectuel – qu’il s’agisse de lettres à caractère administratif ou directement scientifique. Dans une moindre mesure, sont conservés des échanges relevant de la sphère privée. On y trouve également des carnets de notes (une vingtaine en tout), des procès-verbaux de séances facultaires, des programmes de cours, des épreuves et des manuscrits d’articles ou de conférences. Les pièces les plus anciennes remontent à 1934, tandis que les plus récentes ont été produites à peine quelques jours avant son décès, le 22 janvier 1984. L’ensemble couvre donc une période de cinquante ans.
Ce vaste ensemble témoigne de l’active participation de Chaïm Perelman à la vie intellectuelle de son temps, ainsi que des échanges extrêmement féconds et réguliers qu’il a eus avec certaines des figures les plus marquantes de la pensée du second vingtième siècle. À titre d’exemple, on pourra citer: Norberto Bobbio, Marc Fumaroli, Hans-Georg Gadamer, Lucien Goldmann, Henri Gouhier, Vladimir Jankélévitch, Henry Jonhstone, Georges Kalinowski, Hans Kelsen, Karl R. Popper, Paul Ricœur, Michel Villey, Éric Weil, Georg Henrik von Wright, etc. Figures marquantes, mais également, collègues proches et amis, ainsi : Léo Apostel, Sylvain De Coster, Paul Foriers, Henri Janne, pour ne mentionner que quelques noms. Autant de philosophes, épistémologues, juristes, psychologues, pédagogues, sociologues, avec lesquels Perelman a passé une partie de sa vie à correspondre et à partager des réflexions, des idées, des concepts, des accords, à formuler et à décortiquer des désaccords. L’œuvre de Perelman est pénétrée de ces échanges. Elle s’est construite grâce à eux, avec et parfois contre. Négliger leur importance, c’est renoncer à comprendre tout le processus d’élaboration des concepts et des idées. Ainsi perd-on toute la matière qui fait d’une œuvre une pensée vive, c’est-à-dire en construction. Cependant, c’est parfois au détour de réponses à des lecteurs anonymes – des philosophes amateurs, des professionnels du droit, avocats ou magistrats – que Perelman en vient à développer des points obscurs de son travail, à préciser des notions floues, à exploiter des allusions, etc.
Dès lors, le travail que nous menons à Bruxelles se situe sur deux plans indissociables : technique et scientifique. Techniquement, il s’agit d’élaborer des solutions de conservation et de valorisation en vue d’une diffusion (large et efficace) de notre fonds d’archives. Le traitement en question revêt, nous l’avons vu, un caractère d’urgence eu égard à l’importance scientifique des documents, autant qu’à leur fragilité. Partant, le gros du travail vise simultanément l’inventaire et la numérisation d’une partie des pièces que chaque manipulation contribue à altérer. Du reste, s’il nous semble inutile de détailler, par le menu, le contenu des archives comptables ou de nature purement administrative, il nous a paru nécessaire de viser l’exhaustivité pour ce qui concerne les cartons de correspondance scientifique générale.
Au terme du projet, couplée à une « Digithèque » sur le site des Archives et Bibliothèque de l’ULB, nous espérons pouvoir offrir une interface numérique d’envergure permettant à toute la communauté scientifique un accès direct au contenu des archives ; ouvrant ainsi le champ à une recherche inédite. La description du fonds devrait être directement accessible via un site internet consacré à Perelman et à son œuvre. L’inventaire se trouvera ainsi complété par : une notice biographique, une bibliographie complète, des textes en lignes, des documents divers, des liens et un espace de discussion. Seront dès lors présentés un ensemble d’articles et de pièces numérisés, de même qu’une synthèse cartographiant l’influence internationale de Perelman : l’identité et la répartition géographique de ses correspondants, la durée et la fréquence de leurs échanges, les thématiques abordées, et enfin l’historique de ses déplacements scientifiques – accompagné de leurs motivations.
Une collaboration avec le « United States Holocaust Memorial Museum » de Washington est en discussion, afin de compléter notre fonds par le leur. Les archives « Fela et Chaïm Perelman » de Washington contiennent notamment de la correspondance privée, des photographie, des documents d’identité et les (petits) agendas de Perelman à partir de 1945.
Prenant appui sur le volet technique de notre travail, le traitement plus directement scientifique est, quant à lui, de trois ordres. Il s’agit d’une part de publier, avec un apparat critique, une sélection de lettres remarquables, soit par les thématiques abordées, soit par le témoignage intellectuel qu’elles apportent (au regard de leur destinataire ou du contexte d’écriture), soit parce qu’elles marquent une étape importante dans l’évolution de la pensée perelmanienne. D’autre part, il nous semble nécessaire de rééditer un certain nombre d’articles oubliés ou difficilement accessibles qui témoignent, dans leur diversité, de l’unité d’une œuvre. Enfin, sur la base de nos archives (mais aussi d’entretiens), Loïc Nicolas prépare la rédaction d’une biographie qui aborde les différents aspects de la vie sociale, intellectuelle et scientifique de notre auteur. Biographie qui fait encore défaut aujourd’hui – en langue française du moins.