Denis Saint-Amand & David Vrydaghs (dir.), « Nouveaux regards sur l’illusio », COnTEXTES, n° 9, septembre 2011
On sait depuis longtemps la haute efficacité des concepts puisés au cour de la boîte à outils élaborée par Pierre Bourdieu qui permettent d’éclairer les rouages du monde littéraire, depuis le point de vue macrostructurel permis par le « champ » jusqu’à la perspective individuante impliquée par l’« habitus ». Trait d’union potentiel entre ces points de vue général et particulier, la notion d’illusio a généré moins de commentaires critiques que les deux inventions conceptuelles susmentionnées. L’illusio, pourtant, appelle le commentaire : à l’image de celle d’habitus, récrite et réinventée d’un travail à l’autre, la définition du concept n’est pas définitivement arrêtée et se voit constamment aménagée par Bourdieu au fil de ses essais. Proche de l’« intérêt », la notion est à la fois synonyme d’adhésion, souvent aveugle, à un espace dont les règles font sens et de capacité à intérioriser les règles et les enjeux de ce jeu. Il est toutefois, notait Bourdieu, quelques écrivains et artistes auxquels est donnée la capacité de déjouer le jeu en déconstruisant ses mécanismes : ceux-là, selon le sociologue, sont à chercher du côté d’un Stéphane Mallarmé ou, pour le champ artistique, d’un Marcel Duchamp. Dans le présent dossier, Pascal Durand, Patrick Thériault et Benoît Monginot discutent ce statut privilégié que Bourdieu, à la lecture de l’article « La musique et les lettres », avait dévolu à l’auteur du Coup de dés, et poursuivent, sans toujours partager les mêmes conclusions, l’analyse du si fécond cas Mallarmé.
Au-delà des cas extrêmes typiques, il existe aussi des modalités de participation au jeu qui se situent dans une sorte de moyen terme : c’est ce que font voir, dans ce dossier, Jacques Dubois, en se penchant sur le cas de la romancière contemporaine Christine Angot, Annick Ettlin, en interrogeant le long silence puis le retour de Valéry à la poésie, et Anne-Marie Havard en questionnant le positionnement à l’intersection de plusieurs champs des poètes du Grand Jeu.
Ces études, du reste, amènent à interroger la validité même du concept d’illusio. C’est dans cette perspective que Géraldine Bois met l’illusio à l’épreuve des écrivains amateurs, catégorie particulière évoluant en marge du « champ » délimité par Bourdieu. Frédérique Giraud, enfin, voit en l’illusio une question plus qu’un concept : celle qui invite le chercheur à reconstruire les socialisations diverses d’un écrivain, en l’occurrence Émile Zola, en vue de comprendre comment et avec quelle intensité le goût du jeu littéraire s’est développé chez lui.
Sans chercher à répondre définitivement aux questions soulevées par la notion d’illusio, ici appliquée à l’univers littéraire, tant en ce qui concerne les modes de fonctionnement fondamentaux qu’elle suppose que sur le plan de sa propre axiologie, le présent dossier a principalement pour objectif d’interroger ce concept à nouveaux frais, en le mettant à l’épreuve et en tentant de cerner ce qu’il permet ou non de mettre en lumière en matière de logiques bien littéraires.
Sommaire
> Le Cas Mallarmé
Pascal Durand, « Vers une illusio sans illusion ? »
Patrick Thériault, « In umbra voluptabis lusi »
Benoît Monginot, « Mallarmé critique de Bourdieu »
> Avatars de l’illusio
Jacques Dubois, « Christine Angot : l’enjeu du hors-jeu »
Annick Ettlin, « Comment écrire des vers quand on ne veut pas être poète »
Anne-Marie Havard, « Le Grand Jeu, entre illusio et lucidité »
>Les limites de la croyance ?
Frédérique Giraud, « La double croyance dans le jeu littéraire d’Émile Zola »
Géraldine Bois, « Des degrés et des formes d’investissement »
Ce dossier est accessible intégralement et gratuitement en ligne, à l’adresse suivante : http://contextes.revues.org